"La conspiration" de Paul NIZAN le 20 octobre 2002


"Foutue jeunesse , foutu siècle que le Vingtième". Nizan avait tout perçu et tout compris : la vie volée, l'errance et la mystification. Ou comment les adultes qui cherchent à sauver leur peau et leurs rêves prennent en otage les jeunes qu'ils trahissent à la sortie de l'enfance .

Trahison! a crié Nizan à ceux qui voulaient l'entendre, ceux des années 30, les Rosenthal et autres qui ont conspiré et qui ont ...raté . Ceux peut-être des années 68 qui n'ont peut-être pas fait mieux. Et aujourd'hui que reste t-il de Nizan ?

La lucidité implacable , l'ironie distante, l'écriture, certains ont dit stendhalienne. Je dirai "nizanienne" , poétique et réaliste. Loin de n'être qu'un exercice de "Normale sup". Et puis même ...si c'est çà le style Normale Sup alors on en redemande et Nizan pour cette raison supplémentaire nous manque encore plus .

Christian BAILLON-PASSE

Mais ..."

Comme toujours à DIRELIRE, les échanges allaient bon train. Sous le feu croisé des témoignages de lecture, des avis longuement mûris, des compétences affirmées, "La Conspiration" de Paul Nizan livrait sans trop de résistance ses derniers secrets. Un chef-d'oeuvre, pas moins. "C'est la peinture sans complaisance d'un monde qui s'éloigne de nous". "C'est le grand roman de la trahison." "C'est un beau chant désespéré." "Comment, vous n'avez pas reconnu un tel? Et un tel?" Toutes ces clés faisaient, il est vrai, un bien joli trousseau.

Et le style. Ecoutez plutôt: "Des femmes en noir causaient sur le pas de leur porte, des paysans rouges et bleus poussaient des ânes devant eux..."

C'est alors que le lecteur grincheux du fond de la salle demanda la parole. Cessons, dit-il, cette admiration de complaisance pour un style qui, à tout prendre, est assez terne et assez plat. Les quelques morceaux de bravoure qui encombrent le récit, sentent l'écriture appliquée et laborieuse d'un écrivain qui en fait trop.

Quant au livre lui-même qu'en reste-t-il, débarrassé de tout son appareillage référentiel (Normale Sup, le Parti, Sartre...) sinon quelque chose qui hésite entre le roman, l'essai, le manifeste, l'autobiographie et dont la construction assez lâche ne parvient pas à constituer un ensemble convaincant. Voyez cette pauvre histoire avec Catherine. Ayons l'honnêteté de n'y voir qu'une bien plate aventure.

Quand on pense, ajouta le lecteur grincheux, que la même année paraissait "La Nausée", on mesure ce qui sépare un grand livre d'un petit.

Conscient d'avoir exagéré son propos et d'avoir un peu trop chargé la barque, le grincheux se tut et se promit de relire dans de meilleures dispositions, "La Conspiration".

Michel BOUDIN

"L'homme qui rit" de Victor HUGO le 15 octobre 2002






"On lui avait à jamais appliqué le rire sur le visage. C'était un rire automatique et d'autant plus irrésistible qu'il était pétrifié", "qu'on se figure une tête de méduse gaie".

Il semblerait que cette oeuvre a produit l'effet de la tête de la méduse sur l'assistance de ce dimanche. Proposant de mettre en pratique le schéma du Professeur Lockwood, Annie Rouzoul situe le destinateur (opinions d'auteur sur Hugo), celui-ci nous indique le référent (la seigneurie en Angleterre). Mais les destinataires, nous, submergés par cette cataracte y trouvent aussi :

- l'histoire émouvante de deux enfants et d'un philosophe au grand coeur.

- une réflexion critique sur la société, ses lois, ses puissants, ses serviteurs et ses victimes.

- une réflexion critique sur la mort et le monde invisible, au coeur de la tempête

- une réflexion sur la vie et le destin; un parallèle est mis en évidence avec "La vie est un songe" de Calderon; Gwynplaine est à la fois saltimbanque et Lord, comme Sigismond est à la fois prisonnier et Prince.

- le travail d'un encyclopédiste: on nous dit tout sur la pêche, les phares de la Manche, les bouffons, les éminences grises...

- des dénonciations de style voltairien: "Georges III ayant perdu dans sa vieillesse l'esprit qu'il n'avait jamais eu dans sa jeunesse, n'est point responsable des calamités de son règne." ou bien "Louis XIV avait des punaises dans son lit et des jésuites dans sa politique".

Dans tout ce foisonnement où le lecteur se perd, Hugo ordonne tous les fils de sa tapisserie dans une construction étonnante.

Christiane Vincent



Dernier des grands romans d'exil de Victor Hugo, fruit de vingt-cinq longs mois de travail, "L'Homme qui rit" portait tous les espoirs de son auteur, qui confiait à Vacquerie: "Je pense n'avoir rien fait de mieux que "L'Homme qui rit". Pourtant l'ouvrage fut un échec: le flot verbal ininterrompu, le didactisme parfois pesant, l'invraisemblance de l'intrigue avaient-ils lassé les plus fidèles lecteurs? Ou bien les temps avaient-ils changé?

Dans son journal, Victor Hugo se contenta de noter: "Le succès s'en va. Est-ce moi qui ai tort vis-à-vis de mon temps? Est-ce mon temps qui a tort vis-à-vis de moi? Question que l'avenir seul peut résoudre."

Cette question, les membres de Direlire semblent l'avoir résolue: personne ne s'est hasardé à émettre la moindre critique! Ecrasés par une telle puissance créatrice ou profondémént admiratifs, les lecteurs d'aujourd'hui n'ont pu que constater: "Cent fois j'ai voulu m'arrêter, ou sauter quelques pages, mais je n'ai pas pu, je me suis laissé emporter malgré moi..."


Un très beau site sur Victor Hugo