Alain FLEISCHER "Quatre voyageurs"


L'histoire imaginée par Alain Fleischer commence d'une manière apparemment banale : quatre scientifiques européens sont envoyés aux États-Unis dans le cadre d'un programme de recherche de la Communauté européenne, "Le Monde et ses doubles". Ils y rencontreront quatre interlocuteurs, destinés à leur fournir les informations nécessaires à leur mission : le créateur-modiste d'une actrice virtuelle, un astrophysicien persuadé de l'existence d'un univers parallèle qui se confond avec le monde des rêves, un biologiste partisan du clonage humain et un gorille bavard et philosophe.


Notre débat du 14 septembre 2003

Il s'est déroulé en l'absence d'Alain Fleischer, retenu par d'autres obligations mais qui viendra discuter avec nous plus tard dans la saison.

Les avis sur son livre, " Quatre voyageurs ", furent très partagés, allant de l'enthousiasme argumenté à des critiques assez sévères. C'est un roman métaphysique, mettant en scène des personnages qui sont des " cas de figure " et non des personnes avec leur psychologie.

" Etant donné ", comme dirait Marcel Duchamp, " quatre personnages de la Vieille Europe invités à un colloque californien sur le monde et ses doubles ". C'est fabriqué, dirent certains; mais avec ingéniosité, répondirent d'autres et par ailleurs tout roman est une fabrication, sinon il s'agit de reportage documentaire ou de biographie.

Il y eut ensuite débat sur la pertinence des thèmes évoqués : ce que certains trouvaient une réflexion et une mise en scène des phénomènes de dédoublement de la personnalité, du virtuel et du simulacre, fut qualifié par d'autres de dichotomie archaïque entre le corps et la conscience.

On évoqua à plusieurs reprises Marcel Duchamp et son Grand Verre, Victor Hugo et "L'Homme qui rit " que nous avons abordé l'an dernier. Certains ont beaucoup apprécié que le livre se termine par un grand éclat de rire libératoire.

Alain Fleischer est d'abord un homme de l'image et son écriture présente certaines caractéristiques qui ont gêné certains lecteurs. Par contre tout le monde a apprécié l'humour qui affleure souvent au fil des pages.

Antoine VIQUESNEL


Ce qu'en a pensé Annie ROUZOUL

"Aux frontières du surnaturel...". C'est là qu'un critique situe le dernier roman D'Alain Fleischer "Les angles morts".

Notre saison s'est ouverte avec "Quatre voyageurs" publié en septembre 2000, aujourd'hui en "Points Seuil".

"Qui entre dans la transfiguration, a derrière lui un évanouissment". Alain Fleischer a mis en exergue cette pensée de Victor Hugo trouvée dans "L'Homme qui rit" que nous avions à notre programme de la saison dernière.

"Cherchez, vous trouverez", dit l'un. Je ne cherche pas, je trouve", répond l'autre. A Direlire nous avons trouvé non pas une mais quatre transfigurations, quatre changemenrts simultanés d'une figure en une autre. En trois nuits, trois fois quatre permutations de corps. Point n'est besoin de chercher une définition abstraite du corps humain, objet concret s'il en est. Mais la figure... Un visage. Mais encore... sur mon petit dictionnaire pas moins de neuf définitions ayant toutes trait à la représentation.

Nos quatre voyageurs venus des quatre coins de la vieille Europe débarquent en Californie pour représenter la recherche de l'Ancien Monde face au Nouveau dans un colloque scientifique, intitulé "Le Monde et ses doubles". Le Théâtre et son double?

Et les voila bientôt devenus les jouets de quelque(s) démiurge(s) tout en gardant intacte la conscience de leur identité.

Si l'Amérique nous a abreuvés de mutants de tout genre et de toutes couleurs que dire de ces "permutés" imaginés par un Français d'origine hongroise?

Dans "L'Homme qui rit" le visage noble du jene lord Clancharlie confié à des bohémiens, artistes en chirurgie esthétique, est merveilleusement transfiguré en masque grotesque de la comédie. Plus question de sourire. Disparu lord Clancharlie. Evanoui. Jusqu'à la fin des Temps où, comme Jésus apparaissant en gloire au mont Thabor, il endossera enfin son corps éternel au sourire d'ange.

C'est d'un sourire mi-figue mi-raisin que partent nos quatre cobayes ayant échappé de justesse au sortilège qui les aurait métamorphosés en un quatuor hongrois pour arriver à un fou-rire contagieux, le même que celui des lords devant le visage monstrueux.

Réintègrent-ils leurs corps respectifs? L'histoire ne le dit pas. Machine complexe , belle machine.

Nous en étions là au bout d'une heure et demie de conversations animées quand une liseuse, jusque là silencieuse, prend la parole.

"Je ne partage en rien votre intèrêt. Pour moi, l'auteur revient à une dichotomie archaïque du corps et de la conscience, qu'il nous présente dans un style vieillot, asphyxiant, sans alinéa, avec une redondance d'adjectifs, des listes et des listes assommantes, des rengaines, comme "Notre chauffeur croate émigré, toutes douleurs de l'exil déjà anesthésiées", ou bien "Don Astrologo grand couturier des stars défuntes et chef du programme Rita".

Certes il y a parfois de l'humour, voire du burlesque, mais...

Et voila notre fidèle et précieux lecteur grincheux qui renchérit: "Madame a dit exactement ce que je pense, je n'ai rien à ahjouter. Pourtant je vais quand même remettre le nez là-dedans".

Vive la controverse pour que vive Direlire.

(voir le texte du lecteur grincheux sur "La Conspiration" de Paul Nizan)


Biographie d'Alain Fleischer

Alain Fleischer est né en 1944 à Paris. Il vit et travaille à Paris, Rome et Tourcoing (où il a créé et dirige Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains). Après des études de lettres, linguistique, sémiologie et anthropologie à la Sorbonne et à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, il a enseigné à l'Université de Paris III, à l'Université du Québec à Montréal, et dans diverses écoles d'art, de photographie et de cinéma. Son oeuvre d'artiste et de photographe est régulièrement montrée dans de nombreuses expositions personnelles et collectives en France et à l'étranger, dans des galeries et musées. Lauréat de diverses bourses (Villa Médicis hors-les-murs, Léonard de Vinci), Alain Fleischer a été Prix de Rome pour la photographie et a séjourné à la Villa Médicis de 1985 à 87.

Quelques infos sur Alain Fleischer