"Les soleils des indépendances" d'Ahmadou KOUROUMA le 15/03/2004


Lors de la discussion sur "Les soleils des indépendances" d'Ahmadou KOUROUMA, nous avons notamment abordé les questions de la langue, de la vision de l'Afrique que le roman nous propose, de la vision politique que KOUROUMA développe ici et ailleurs.

Nous reprendrons essentiellement des citations de l'écrivain, glanées ici et là, qui ont illustré le débat.

La langue

Il a d'abord été rappelé que ce premier roman , refusé par les éditeurs français qui considéraient qu'il maltraitait trop la langue française, avait été publié au Québec en 1968 et qu'il avait reçu le Prix de la Francité. Ce n'est qu'en 1970 que le Seuil en rachètera les droits.

"Quoi que les gens disent, je ne cherche pas à changer le français. Ce qui m'intéresse, c'est de reproduire la façon d'être et de penser de mes personnages, dans leur totalité et dans toutes leurs dimensions. Mes personnages sont des Malinkés. Et lorsqu'un Malinké parle, il suit sa logique, sa façon d'aborder la réalité.

Or cette démarche ne colle pas au français: la succession des mots et des idées, en malinké, est différente. Entre le contenu que je décris et la forme dans laquelle je m'exprime, il y a une grande distance, beaucoup plus grande que lorsqu'un italien , par exemple, s'exprime en français. Je le répète , mon objectif n'est pas formel ou linguistique. Ce qui m'intéresse, c'est la réalité. Mes personnages doivent être crédibles et pour l'être, ils doivent parler dans le texte comme ils parlent dans leur propre langue.(1)"

"Contrairement à ce que l'on peut penser, il me semble que les langues africaines sont, en général, beaucoup plus riches que les langues européennes.Elles disposent d'un grand éventail de mots pour désigner une même chose, de nombreuses expressions pour évoquer un même sentiment, et de multiples mécanismes permettant la création de néologismes. (1)"

"Je crois que les français ont leur langue. Ils ont violé beaucoup de peuples mais ils voudraient que leur langue reste pure. Ce n'est pas possible.Le français s'impose chez nous parce que nous sommes trois cents millions et que nous utilisons le français pour communiquer. Le Wolof ne comprend pas le Malinké. C'est pourquoi je me suis imposé comme règle de permettre au français de saisir un peu les particularités de la joujoute africaine. Le français je l'ai changé de sorte qu'il puisse saisir les jeux.Et pour cela, il y a plusieurs moyens: prendre des mots africains, les franciser, et puis des mots français et les faire changer de sens(2)."

"Quand j'écrivais "Les soleils des Indépendances", je pensais en malinké. Mon long exil m'a obligé à penser en français. Je ne peux plus revenir en arrière(3)."

L'Afrique

Beaucoup ont souligné la force de la découverte de l' Afrique décrite au quotidien par A. KOUROUMA , qui nous fait vivre au milieu des africains, de leurs paroles et de leurs pensées .

C'est notamment la présence constante de la religion animiste et les compromis nécessaires dans les mêmes têtes avec la religion musulmane qui ont été rapportés, avec cette interrogation: que pense A. KOUROUMA de l'animisme?

"Chez les Africains vous trouvez le fétichisme parmi les comportements non logiques . Car chez les Africains, même s'ils sont musulmans ou chrétiens, il y a ce fétichisme qui correspondait à une nécessité donnée, et cette magie continue à vivre...Je le constate, je ne le regrette pas.Moi-même je ne crois pas à la magie mais je crois que les Africains, pour ne pas être totalement désorientés, pour ne pas perdre pied, ont besoin de cette culture.Je ne crois pas à la magie, parce que si la magie était vraie on n'aurait pas connu l'esclavage, l'exploitation.On prétend que la magie peut faire que les gens deviennent des oiseaux, qu'ils peuvent s'échapper. S'il y avait une force, cent millions d'esclaves ne seraient pas partis...Notre histoire est trop tragique pour croire que nous avions une force que nous gardions en réserve(4)."

La politique

Ahmadou KOUROUMA a sans doute évolué dans sa pensée mais nous ne l'avons sans doute pas trahi en citant, dans notre débat, le dernier paragraphe de "Monné , outrages et défis" (qui se déroule pour une large part dans la période coloniale et des travaux forcés) écrit à la fin des années 80:

"La Négritie et la vie continuèrent. Nous attendaient le long de notre dur chemin les indépendances politiques, le parti unique, l'homme charismatique,le pêre de la Nation,les pronunciamentos dérisoires, la révolution; puis les autres mythes: la lutte pour l'unité nationale, pour le développement, le socialisme, la paix, l'autosuffisance alimentaire et les indépandances économiques; et aussi le combat contre la sècheresse et la famine, la guerre à la corruption, au tribalisme, au népotisme, à la délinquance, à l'exploitation de l'homme par l'homme, salmigondis de slogans qui à force d'être galvaudés nous ont rendus sceptiques, pelés, demi-sourds, demi-aveugles , aphones, bref plus nègres que nous ne l'étions avant et avec eux".

Mais que nous avons complété par ce passage de l'entretien déja cité avec Marc Fenoli en 1999:

"Je crois beaucoup à l'Afrique. Dans "Les soleils des indépendances" j'étais très pessimiste, je n'y croyais pas, mais aujourd'hui je crois en elle, parce que , je répète ça à chaque fois,l'Afrique a fait un progrès énorme. Il y a un siècle nous étions en esclavage, il y a 50 ans c'était les travaux forcés, les pires, il y a 25 ans nous étions sous le régime du parti unique, et maintenant nous sommes un peu libres. Il y a donc un progrès au point de vue humanitaire, même si ce progrès ne va pas très vite et si ce progrès ne correspond pas à un progrès économique.Tout cela est lent mais l'Afrique fait des progrès."

Nos discussions ont aussi porté sur le style du récit, et la belle et douloureuse histoire d'amour de Fama et de Salimata. A la fin de notre réunion il était clair pour toutes et tous que nous venions de lire un grand livre.


Jean COURDOUAN


(1)Propos recueillis , pour l'UNESCO, par René Lefort et Mauro Rosi en 1999.

(2)"chat" sur RFI 5/9/2001.

(3)Revue "Notre Librairie" n°135 Paris 1998.

(4)"Kourouma le colossal" interrogé par Marc Fenoli en janvier 1999 www.culture-developpement.asso.fr."

"Sanctuaire" de William FAULKNER le 15mars 2004


"Sanctuaire" nous a été proposé et présenté par Brigitte Kraus qui a demandé aux participants quelles avaient été leurs premières impressions de lecture. La plupart ont beaucoup apprécié ce septième roman de Faulkner, que lui-même ne considérait pas comme son meilleur, réservant ses préférences au roman "Le bruit et la fureur".

En replaçant le livre dans l'histoire du roman américain, Hervé Casini a mis en évidence qu'il y a eu un avant-Faulkner et un après-Faulkner.

Certains ont trouvé son écriture assez cinématographique, le roman ayant tout à fait la structure d'un scénario. Et pourtant Faulkner, comme tous les grands auteurs américains de l'époque, échouera à devenir scénariste à Hollywood, ce qui aurait bien arrangé sa situation financière. Ceci n'empêchera pas bien sûr ses romans d'être portés à l'écran.

C'est un roman très noir, presqu'un polar, mais beaucoup plus que cela. D'autres ont trouvé l'écriture remarquable, en cela que Faulkner ne fait que décrire ce qui se passe sans nous donner d'explications. Ce n'est que peu à peu que les clés nous sont données pour comprendre le déroulement des faitse, et cela a dérouté plus d'un lecteur.

Tous les ingrédients du roman sudiste sont présents: grandeur déchue, faute originelle et ineffaçable de l'esclavage, climat poisseux... Il n'y a pas de rédemption, ce n'est pas la vie qui triomphe, mais la mort.

Antoine VIQUESNEL