"Le ravissement de Lol V. Stein" de Margurite DURAS le 17 février 2008



C'est un livre fascinant car il atteint en nous le plus enfoui de nous-mêmes: la scène primitive, l'impossibilté de fusion du deux en un, la présence d'un tiers regardé ou regardant, l'attrait de la mort ou de la folie, ou alors la possibilité de la vacuité bouddhique, de la transcendance des mystiques (Marguerite Duras lisait Saint-Jean de la Croix et Sainte Thérèse d'Avila). François Nourrissier déclare: "Marguerite Duras atteint une forme blessée de nous-mêmes". Elle va ravir Lacan mais elle-même est éloignée de la psychanalyse, elle brouille sans cesse les significations et pervertit même l'idée du sens.
Dans toute son oeuvre on retrouvera le thème de l'exil intérieur, l'approche et la dérobade, la douleur et la transgression. Lol incarnera cette volupté intérieure à ne pas être.
L'été 1963 après une cure de désintoxicarion alcoolique après avoir rompu avec son amant du moment, Gérard Jarlot, elle était seule à Trouville face à la mer. "C'est fait, dit-elle à Gallimard, je ne peux pas me relire, je n'en peux plus, l'animale est là, je l'aime". La même année elle écrira "Le Vice-Consul". "Il fallait le faire quand même!" dira-t-elle.
On retrouve là Michaël devenu Richardson et Anne-Marie Stretter vieillie et toujours belle, toujours ravisseuse d'hommes. "C'est une femme du Nord, elle vient, elle passe, elle voit la mendiante et l'enfant dans les bras, mourant et dévoré par les vers, les lépreux dans l'odeur fade des lauriers roses, les poubelles et les mendiants, et elle voit et elle passe et elle meurt.
Lol meurt-elle? devient-elle folle? Après avoir été ravie, elle décidera à son tour, elle ravira l'amant de son amie, le manipulera à sa guise, se gavera de la vue de leurs corps nus et enlacés, puis fatiguée du "voyage" dormira dans le champ de seigle.
Maryvonne NICCOLAI

Monique BECOUR
Ce livre au titre déjà ambigu nous incite à nous interroger sur chaque mot le composant.
Lol ou Lola V (Valérie -Valéria) STEIN. Ce V, « dont les ailes » dit Lacan « évoquent les ciseaux, Stein :la pierre ». Donc ce jeu « de la mourre » de mains d' adolescents : les ciseaux coupent la feuille, mais la feuille entoure la pierre et la pierre tombe dans le puits…
Le « ravissement » pour moi, le premier sens de Lol, la ravie, c'est le sens provençal, la fada (de), la simplette, « elle n'est pas tout à fait normale »… « petite, elle n'était jamais là » dit son amie de pension, Tatiana, jusqu'à la fin où Lol , « si constamment envolée de sa vie vivante » dit Jacques Hold, s'échappe en une terrible crise de folie. Et peu à peu, d'autres sens surgissent éclairant le ravissement.
Lacan parle de « l'objectif ou du subjectif du ravissement qui fait énigme ». Pour éclairer, Lol va être victime d'un rapt, mais elle même va se rendre coupable d'un rapt, elle prend, (p112) elle ravit.
Toute l'histoire est basée sur trois nœuds ou relations triangulaires. Premier triangle : à dix huit ans, Lol, est fiancée à Michael Richardson, - (elle a vécu avec lui un seul acte d'amour dans une chambre de l'hôtel des Bois, refuge d'un autre couple ). Lol, voit au bal du Casino de T.Beach, Michaël, séduit par une arrivante Anne Marie Stretter, d'âge mur puisqu'elle est accompagnée de sa jeune fille. La séductrice «avait la grâce abandonné e d'un oiseau mort, elle était maigre, l'avait toujours été et revêtait cette maigreur d'un robe noire à double fourreau de tulle, à la souriante indolence de la légèreté d'une nuance, d'une cendre »
« Elle promène un non-regard sur le bal » et subjugué, Michaël, « dans la plénitude de la maturité », danse avec Anne-Marie Stretter, collé, serré, durant toute la nuit, sous les regards voyeurs de la salle de bal sur Lol atterrée, la blonde et de son amie Tatiana à la chevelure luxuriante brune, cachées derrière des palmiers en pot. La ravisseuse et sa conquête dansent, dansent jusqu'au matin et dix ans après, lorsque Lol retourne, une journée à T.Beach avec J. Hold, (le voyeur cette fois) dans le train, elle ressasse cette danse de mort, rythmée par le fracas des bogies du wagon. La Mort dans l'âme pour Lol qui ne s'en remettra jamais.
Ces deux passages au bal, et dans le train où ils ont pris place dans la deuxième partie du livre, m'ont fait ressurgir (cf. Nathalie Sarraute) un film surréaliste « Le train » (?) des années 1960, de Delvau, cinéaste belge sur une catastrophe ferroviaire dans lequel le héros, choqué, égaré, errant le long des voies, dans un champ, rencontre dans un estaminet belge proche, le même genre de séductrice fatale, fourreau noir, yeux de braise et cheveux aile de corbeau, typée Maria Casarès. Et tous deux, dans une musique syncopée, en mineur, assourdissante, de ducasse belge, dansent, dansent, raides comme des marionnettes tirées par des ficelles, gestes heurtés, cassés… Lorsque le héros dans le plan suivant retourne vers le train, il trouve sa compagne morte allongée au milieu des victimes, le long de la voie. La femme fatale, la Mort ! (souvent représentée ainsi dans les œuvres de Breughel et dans l'art flamand).Fatum.
La deuxième relation triangulaire (deuxième nœud) de notre récit est celle de Tatiana Karl mariée à Pierre Beugner médecin. Elle a pour amant Jacques Hold et leurs rendez-vous amoureux se passent dans le même Hôtel des Bois de S. Tahla, ville natale de Lol, qui y est revenue, vivre, dix ans après, dans la maison parentale, mariée à Jean Bedford, dont elle a eu trois enfants. Lol qui a observé, jour après jour, dans la rue, en le suivant, (toujours le thème du voyeurisme), le manège séducteur de Jacques Hold renoue contact avec Tatiana Karl afin de mieux guetter, couchée dans un champ de seigle, invisible, la fenêtre de la chambre des deux amants qui y apparaissent, nus, parfois : scène érotique ! C'est alors qu'elle va unir toutes ses forces mentales dans le rapt, le ravissement de Jacques Hold : elle répète l'événement qui l'a tant fait souffrir et basculer de l'autre côté du miroir.
La troisième relation triangulaire (troisième nœud) est la relation amoureuse légère de Jacques Hold, qui, l'âme, la psyché, ravie par Lol, (est-ce une relation mystique ?) se détourne momentanément de Tatiana et dans le wagon vide du train, parvient, en caressant le visage de Lol « au corps chaud et bâillonné de sa main,(il) s'y enfonce, heure creuse pour Lol, heure éblouissante pour son oubli, s'y greffe » jusqu'à la petite mort de Lol. A partir de cet épisode, Lol, va de plus en plus basculer dans la vacuité, l'absence (phrases interrompues, insensées, regards vides qui ont commencé deux jours auparavant, lors d'un dîner qu'elle a donné avec son mari jusqu'à LA crise. Pour Lacan, ce ravissement de Lol est le ravissement subjectif.
Il vous faut découvrir ce récit qui n'a peut-être pas plu au genre masculin malgré l'érotisme diffus, le genre féminin serait-il plus sensible aux aléas des situations décrites avec une poésie, une précision ou une imprécision infinies ?
Il faut noter aussi la relation diffuse, presque charnelle qui unit Lol à Tatiana depuis leur passage au lycée, la chevelure noire, luxuriante, qui ravit encore et toujours Lol, leurs étreintes amicales, vraiment ? leurs baisers, innocents ? La sensualité de Marguerite Duras est sous-jacente. Le lecteur peut penser qu'il s'agit ici de désir non accompli ! Lol qui a élevé trois petites filles est détachée, peu ou pas maternelle : rien de visible à ce niveau.
En ce qui concerne la composition du livre, Le narrateur (l'auteure) omniprésent décrit au présent, parfois à l'imparfait jusqu'à la page 75 où Jacques Hold, l'amant, médecin à l'hôpital dans le service de Pierre Beugner, le relaye au passé simple en discours narrativisé (psycho-récit) au présent. La difficulté de lecture vient que l'on passe du narrateur auteure au narrateur Hold qui s'interroge, étudie comme un analyste le comportement de plus en plus étrange de Lol.
Lacan dit, toujours dans l'étude citée précédemment, qu' « un sujet est terme de science, comme parfaitement calculable , et le rappel de son statut devrait mettre un terme à ce qu'il faut bien désigner par son nom : la goujaterie, disons le pédantisme d'une certaine psychanalyse ». J'ai pensé, avec Pierre Beugner qui parle de Lol, après la soirée où Tatiana voit Lol ravir peu à peu Jacques Hold, que ce dernier surveille le retour de la maladie de Lol comme un clinicien : « cette absence de Lol à table, comme c'était impressionnant et c'est sans doute çà qui intéresse Jacques Hold ». D'ailleurs, Hold retrouve le lendemain Tatiana. Beugner qui accepte les amants de sa jalouse épouse Tatiana, « console celle-ci et la presse dans ses bras, pour empêcher la souffrance encore débutante de prendre corps » . Tant d'amour de Pierre pour Tatiana cela se rencontre ?.. oui, c'est rare, à encadrer. LOL, LOL, LOL, LOL, LOL……..
Monique BECOUR

"Le journal" d'Eugène DELACROIX le 16 février 2008









Notes de lecture tirées de "L'intemporel" d'André MALRAUX par Michel BOUDIN
Filiation: "Titien, qui eût reconnu en Delacroix un fils, n'eût pas compris la nature de la vénération que Baudelaire lui porte".
Art moderne: "Ce génie (il s'agit de Goya) que nous tendons à rapprocher de nous, parce qu'il prophétise l'art moderne, dont il n'est séparé, comme Delacroix, que par la primauté du spectacle".
Couleur: "Baudelaire devine sous le peintre à grand spectacle qu'est Delacroix, le génie souterrain en qui Cézanne reconnaitra la palette la plus éblouissante d'Europe".
Esquisse et art moderne: "Pour Delacroix, pour tous ses contemporains, la grande peinture commençait à L'Adoration des Mages deLéonard de Vinci, la plus célèbre des oeuvres inachevées".
"Les esquisses de Delacroix, si marquées qu'elles soient par leur époque, semblent annoncer l'art moderne, lorsque le peintre, en même temps qu'il renonce au spectateur, renonce à la profondeur".
Un art commun: "On ne découvre pas encore que devant l'Olympia de Manet, Ingres, Corot, Delacroix et Courbet appartiennt au même art".
Création et représentation: "Ce qui suit unit serètement Delacroix à Ingres, ce par quoi un tableau est création et non représentation, paraît plus manifestement devant la photographie que devant la vie même ou l'imagination".
Originalité de Delacroix: "Delacroix n'imitait pas une représentation antérieure, celle des Vénitiens et de Rubens, il leur succédait dans une même conquête".
Delacroix et son temps: "Delacroix est plus lié à son temps parce qu'il est celui de son musée imaginaire, que parce qu'il est celui des premiers chemins de fer".