"Les filles du feu" de Gérard de NERVAL le 19 octobre 2008

Gérard de NERVAL ou le refus du réel par Michel BOUDIN

Les séances de Direlire, jolie cousine, sont décidément des occasions de fortes méditations!
Après l'enrichissant exposé de Monsieur VIARD, universitaire, sur Gérard de NERVAL et les "Filles du Feu", je tombe sur ces lignes du philosophe Clément ROSSET, tirées de son livre "Le Réel et son double": "Rien de plus fragile que la faculté humaine d'admettre la réalité, d'accepter sans réserves l'impérieuse prérogative du réel. Le réel n'est généralment admis que sous certaines conditions et seulement jusqu'à un certain point: s'il abuse et se montre déplaisant, la tolérance est suspendue. Si le réel insiste, il pourra toujours aller se faire voir aillleurs.

Quelle lumière, Claudine, jetée ainsi sur l'oeuvre de NERVAL

On sait déjà que "le rêve est une autre vie" ou que "la vie est ailleurs".

Ce refus du réel, poursuit ROSSET, peut revêtir des formes naturellement très variées. Et il cite:
Anéantissement du réel par anéantissement de soi. C'est la formule du suicide. On ne saura jamais si c'est bienn celle qu'a choisie NERBVAL.
Effondrement mental: formule de la folie. On sait que celle-ci fit irruption dans son existence quotidienne et que pour une large part son oeuvre fut écrite contre cette irruption.
Aveuglement volontaire: alcool, drogue, (ou condition de l'écriture?);
Enfin se situer à mi-chemin entre l'admission et l'expulsion pure et simple du réel.

Mais là, cousine, c'est tout NERVAL qu'il faudrait relire. C'est d'ailleurs tout le plaisir que te souhaite en cette fin d' année ton cousin

FLORENTIN



LES FILLES DU FEU de Gérard de NERVAL (1808-1855) par Monique BECOUR


Gérard LABRUNIE est le fils d'Etienne LABRUNIE , d'ascendance agenaise et de Marie-Antoinette dont la famille est issue du Valois (Ile-de-France). Né à Paris, Gérard est placé en nourrice à LOISY, près de Mortefontaine, alors que sa mère accompagne le Dr LABRUNIE, médecin de l'armée du Rhin, qui dirige l'hôpital de Hanovre dans la Grande Armée de Napoléon. Agé de deux ans, l'enfant perd sa mère qui est enterrée au cimetière polonais de GLOGAU. Recueilli par la famille maternelle, il ne revoit son père qu'à l'âge de 6 ans et revient habiter avec lui rue St Martin à Paris. Elève du Lycée Charlemagne, en 1829, il traduit Faust de Goethe à la très grande satisfaction de l'auteur allemand. En 1830, il soutient HUGO lors de la bataille d'Hernani avec T. GAUTIER, A.DUMAS et fait partie des « Jeunes-France », mais ne s'identifie pas, totalement à leurs parties fines. En 1834, il hérite de 30.000 F de sa grand-mère qui a certainement dû l'entretenir toute son enfance. Sa fille a abandonné Gérard et a ainsi très fortement imprimé en lui cette obsession d'où vraisemblablement les désordres de la névrose. Cependant, après la Révolution de Juillet, il se met à voyager dans le Sud de la France, en Italie, en Angleterre, en Belgique et fréquente beaucoup les théâtres lors de ses retours en France. Il a une aventure avec Jenny Colon , une actrice des Variétés et afin de la lancer il fonde en 1835 « Le Monde Dramatique » qui est liquidé en une année. Endetté, il devient journaliste, écrit des « piges » pour le « Figaro » ; il est à remarquer la similitude complète entre les destinées d'Edgar Poe (cf.mon article sur Poe) et de Gérard de Nerval , pseudonyme qu'il a adopté en souvenir d'un champ cultivé de 51 ares : le Clos de Nerval près de Loisy .

Bruno VIARD, professeur à la Faculté d'Aix-Marseille nous révélait ensuite la signification des « Filles du Feu ». L'alchimie du Feu à travers l'adoration à la mère et l' abhorration du père: Le Feu paternel Caïn, et le soleil insuffisant pâle du côté féminin Abel ou côté maternel dans la Mythologie.

La première nouvelle présentée succinctement, « JENNY » est la lutte d'une femme pour garder successivement deux hommes, un fermier caricatural puis un chef indien non créatif. Selon Mr VIARD , l'ironie de ces pages présente une forme de réussite parfaite de l'horreur économique du standard américain.


La deuxième nouvelle présentée « SYLVIE » n'est pas une autofiction, pas un roman, pas une autobiographie, mais composée à partir d'éléments de la vie de Gérard, c'est la question du mariage qui se pose.

C'est une histoire d'hallucination mentale entre deux femmes, la blonde élancée Adrienne qui chante les airs anciens dans la prairie valoisienne de son adolescence confondue avec Aurélie la comédienne vue tous les soirs au théâtre parisien (image de Jenny Colon selon certains critiques comme Raymond JEAN mais réfutée nous dit B.VIARD par d'autres). Il s'agit d'un rêve, d'un imaginaire, d'une folie : LES CHIMERES du monde de la nuit, des ombres, que Gérard (le Je- narrateur) transcrit par l'écriture opposées au SOLIDE représenté par SYLVIE , la brune et jolie adolescente revue à chaque vacance à Loisy, la SOLAIRE (mon avis) : le tout dans un mouvement de balancier


Pour la composition, c'est le Nerval de 1850 (40 ans), qui sort d'un théâtre, devenu riche – l'actrice mariée à un régisseur - qui se souvient du Nerval du lendemain de la Révolution de 1830 (22ans). Malgré ce recul de vingt ans, le narrateur revoit les événements comme s'il en était encore contemporain, donc prise de recul par rapport à l'action représentée comme s'il était en train de les vivre ; voyant dans un journal qu'a lieu à Loisy, « la fête folklorique druidique du Bouquet », il décide de s'y rendre pour un retour à ses sources et désir de renouer avec ses amours enfantines, loin des amours vénales de Paris. « Nuit perdue ? Une nuit mal employée ? Mais le Jour sera-t-il gagné ? » Sylvie que j'aimais tant, pourquoi l'ai-je oubliée depuis trois ans ? »

Au début du ch. III, Gérard prend la résolution du départ en coche et jusqu'à la fin du ch.VII où il arrive à Châalis à quatre heures du matin, les souvenirs recomposés défilent, comme dans la technique du rêve. C'est-à dire qu'en un temps très court et dense sont revêtus des évènements longs et durables, quelques secondes de rêve, dans un demi-sommeil, dans le cahotement de la voiture à cheval font apparaître des souvenirs recomposés qui défilent. Autrement dit, le procédé littéraire est implicite : utiliser le rêve comme moyen d'aménager le Temps dans le récit.

Devant l'abbaye de Châalis , retour arrière obsessionnel, les deux époques, enfance et adolescence ne se distancient pas l'une par rapport à l'autre mais s'attirent, se rapprochent, se fondent et échappent à la chronologie avec les objets marquant le Temps : l'horloge, la montre …


SYLVIE , la dentelière, retrouvée, les pieds ancrés sur sa terre natale qui avait fait des efforts pour se hausser au ni veau de Gérard « le petit parisien » de son enfance, lisant « La Nouvelle Héloïse » de Rousseau , qui, pour mieux se rapprocher du monde concret de l'argent est devenu gantière ne peut s'affranchir du principe de réalité.

Les dernières pages consacrent l'échec, pas d'unité de lieux ni d'unité de Temps également brisées. L'image de Sylvie mariée au frère de lait de G. le désespère, l'accable, Adrienne est morte en 1832 dit en riant Sylvie .

J'ai conclu sur Nerval , dont Proust découvrait les nouvelles formes de sensibilité avec l'évolution des modes de penser, de sentir, ignoré au XXe siècle par la critique officielle, renaissance entre 1901 et 1926 sous le signe de vertus suspectes d'une France nationaliste qui chante « le pays de Sylvie » qui crée des conditions à l'éveil des curiosités. Cependant Apollinaire en 1911, réveille Nerval par la souscription pour son monument dans « le Mercure ». André Breton en 1924 dans « son Manifeste du Surréalisme » pense « que ses amis avec lui auraient pu employer le terme de « supernaturalisme » utilisé par Nerval dans la dédicace des Filles du Feu :

« Nerval possédait à merveille l'esprit dont nous nous réclamons », de l'admiration doctrinale à la fascination devantl'expérience vécue de la folie, de « la lecture illuminante ». Une dernière fois, les contraintes de la seconde guerre mondiale poussant les esprits à des formes littéraires poétiques privilégiant le rêve et la vérité intérieure de l'homme, refuges possibles de sa liberté font renaître Nerval et le révèle à toute une génération, vont permettre de nouvelles grilles de lecture, l'approfondissement de son ésotérisme, de l'occultisme, de l'alchimie ainsi que la critique des profondeurs.

Monique BECOUR