A LA LUMIERE D’HIVER (Poésie/Gallimard) de Philippe JACCOTTET
      15 Avril 2012 Monique Bécour
Danielle Grégoire nous présente André Ughetto, professeur, qui  lui a fait découvrir Philippe Jaccottet.
L’amitié d’ André Ughetto et de Philippe Jaccottet, tous deux cinéphiles, s’est nouée à la suite d’une projection cinéclub de films au Ciné-club de Valréas, ville voisine de Grignan où habitent les Jaccottet.
André Ughetto, appartenant au conseil de rédaction de  La Revue Sud », y a mis en oeuvre deux numéros consacrés au poète. La même équipe est à l’origine de l’actuelle revue « Phénix ». Ughetto garde le contact avec cet auteur et a même réalisé une « lecture-spectacle » avec quatre récitants, un montage avec pauses musicales « La promenade sur les chemins de Philippe Jaccottet »(en 2010) C’est donc un profond et ancien « compagnonnage littéraire » car il le connaît depuis 1973. André Ughetto parle aussi de ses profondes rencontres émotionnelles avec l’auteur, des rapports entre Jaccottet et la peinture car il a beaucoup d’amis peintres et Anne-Marie Haesler son épouse est un peintre de talent. Elle exprime, dit-il, en peu de traits et peu de couleurs des émotions analogues à celles que Ph. Jaccottet fait ressentir dans ses poèmes, peut-on penser à un certain« hermétisme contemporain » ? Une auditrice, Simone V., peintre qui expose, également, fait le même parallèle «  Il est très intéressant de voir les essais, les brouillons »  et André Ughetto, confirme cette opinion qu’il qualifie de « Work in progress ».
Philippe Jaccottet est né en Suisse à Moudon, près de Lausanne, dans le canton de Vaud en 1925.
De père vétérinaire, son enfance,- culture protestante, - se déroule sous l’influence d’une tante fantasque, passionnée de Wagner, imprégnée des  « Nibelungen » l’enfant est très sensible à certains aspects de « la Mittle Europa ». En 1933, la famille s’installe à Lausanne où Philippe Jaccottet poursuit des études classiques latin-grec : donc abondance d’images mais dans ses métaphores il reste dans la discrétion ; son professeur de grec ancien est André Bonnard qui l’influence beaucoup. Il découvre Rainer Maria Rilke, Claudel et Baudelaire, qui le conduisent vers la poésie moderne mais non surréaliste. Il commence par écrire de la poésie classique et rencontre Gustave Roud, d’origine suisse, (poésie en prose), maître à penser, qui va l’imprégner de son influence profonde mélancolique, sa métaphysique marquée par le sens de la vie qui se dérobe. Il publiera sa correspondance avec lui qui s’étend de 1942 à 1976. Il est ami de Francis Ponge, et leurs recherches poétiques quoique éloignées sont parfois parallèles ( le côté pongien, d’attention à l’objet). Il poursuit des entretiens avec André Dhôtel « Le pays où l’on n’arrive jamais », Je précise féerie insidieuse aux confins de l’Ardenne et de la Champagne pouilleuse et de l’imaginaire, liée à la pensée surréaliste.
Ami aussi de Henri Thomas qui aura une influence dans l’écriture de « L’Effraie » (groupe de la Revue 84).

André UGHETTO précise que Jaccottet est un grand traducteur de grec : « Le Banquet « «   Platon », « l’ Odyssée » d’Homère, mais aussi traducteur de langue allemande : Goethe, Holderlin, Thomas Mann, (la Mort à Venise, sa première traduction), Musil « ( L’homme sans qualités », d’italien : Guiseppe Ungaretti avec lequel il entretient également une longue correspondance (1946-1970), Léopardi. Son travail de traducteur et de critique tient une place plus importante que sa production poétique, semble-t-il. Il a une certaine méfiance des images : « l’image cadre le réel, distrait le regard, il recherche la parole juste, l’émotion la plus haute »
Durant de nombreuses années, Ph.Jaccottet a collaboré à « La Nouvelle Revue Française » qu’il ouvre à la littérature allemande, tout en publiant des textes dans « La Nouvelle revue de Lausanne » et dans «La Nouvelle gazette de Lausanne » entre 1950 et 1970.
Les années 1970 sont très douloureuses pour le poète, marquées par les décès de ses parents et de Gustave Roud, évoqués dans « Leçons » et « Chants d’en bas », (1977) dans « A la lumière d’hiver » :
« Une stupeur, Déjà ce n’est plus lui,
commençait dans ses yeux : que cela fût Souffle arraché, méconnaissable
possible. Une tristesse aussi ….Qu’on emporte celà
vaste comme ce qui venait sur lui, …Ah, qu’on nettoie ce lieu
qui brisait les barrières de sa vie,
vertes, pleines d’oiseaux (Leçons p.16). (Leçons p27)

Les poèmes du deuil, liant le réel poignant à l’interrogation, la lumière et le deuil, la hantise de la mort (poème 8 dans Chants d’en bas » p.51) « singer la mort à distance est vergogne,
… avoir peur quand il y aura lieu suffit ».

Philippe Jaccottet se penche avec tendresse sur l’enfance, mêlée à la mort :
Dans « Parler », le poème 4, p 46  Dans « Leçons » p.29 :
« le convoi du petit garçon L’enfant, dans ses jouets, choisit, qu’on la dépose… …de l’école au cimetière, sous la pluie … auprès du mort, une barque de terre :
Un chien jaune appelé Pyrame… Le Nil va-t-il couler jusqu’à ce cœur ?
fragments, débris d’années ….

J’ajoute que les auditeurs présents ont tous ressenti et exprimé l’angoisse de l’enfant en la liant, vraisemblablement à un souvenir de Philippe Jaccottet enfant et la leur à travers lui. J’ai pensé aussi au passeur Charon, à sa barque et au chien Cerbère, gardien des Enfers.

Dans ces poésies se décèle un rejet bien normal de la vieillesse, de la décrépitude, de la mort, mais aussi une justesse qui n’exclut pas le doute dans le poème « L’Ignorant » :
« Autrefois,
moi l’effrayé, l’ignorant, vivant à peine,
Me couvrant d’images les yeux,
J’ai prétendu guider mourants et morts… ( Leçons p.11)

Philippe Jaccottet «  se repent plus tard d’avoir écrit ces paroles. Avait-il le droit de s’exprimer, Il aurait un fond de culpabilité suisses, non engagé, car trop jeune durant la guerre «  précise encore André Ughetto.

André Ughetto distingue une réflexion prosaïque puis une sorte d’envol : « plus je vieillis et plus je crois en l’ignorance, plus j’ai vécu moins je possède et moins je règne, et j’attends un à un que les mensonges s’écartent. » Une auditrice formule une certitude : « on sait la transcendance qu’il n’atteint pas », qu’elle rapproche de la position de René Char sur cette question. ( René Char ayant dit un jour à André Ughetto «Je suis un gnostique athée »). André Ughetto répond que Philippe Jaccottet est plutôt un agnostique, il s’interdit d’affirmer quoi que ce soit de ce qu’il ne connait pas. Simone V. le ressent proche de l’animisme. En ce qui me concerne, je ressens fortement la correspondance, entre René Char et Philippe Jaccottet par rapport à l’élément « feu » caractère héraclitéen de certaines poèmes, tel que « Les Gitans » :  il y a un feu sous les arbres , dans son premier recueil.
Philippe Jaccottet ne veut pas passer au-delà de l’interrogation, on reste dans l’hypothèse et non dans la solution dit A. Ughetto. Le débat reste ouvert : « on ressent l’absence de Dieu, on ressent la transcendance et donc le sens de la Terre, ce qui fait le prix des choses »
Au début de son écriture, Jaccottet se pose des questions ; après le refus, dans les cycles suivants, au fur et à mesure il trouve des réponses pour glorifier le présent. A côté de l’horreur, il y a la beauté, on ne doit pas taire mais faire la louange de la vie, dans son sens le plus heureux :
« Soleil, enfin moins timoré, soleil croissant,
Ressoude moi ce cœur » (Joie p.127)
Ou encore « Regarde là courir sur ses jambes toutes nouvelles à la rencontre de l’amour » (p.134)
Une nouvelle jeune auditrice s’interroge sur la réalité de « l’étrangère nue » Est-ce son épouse ? La réponse d’André Ughetto est qu’il ne s’agit pas d’une femme réelle , mais de la femme vampire, mais, dit encore Danielle, une image de la mort Eros/Thanatos, ( correspondance pour moi avec Thomas Mann, fin de  « La Mort à Venise », rappel et sujet de mon mémoire de maîtrise).

Apparaît de plus en plus le côté  positif en dépit de la souffrance et de la mort. La poétique du poète et de l’écrivain cheminent en parallèle avec la peinture d’Anne Marie, très ténue, disponible mais contemplative et bienfaisante (les arbres, les fruits).
A côté de l’horreur, il y a la beauté, rappelle André Ughetto, on ne doit pas taire mais faire la louange de la vie, dans son sens le plus heureux

Jaccottet publie « La semaison », en 1984 chez Gallimard, carnets I, puis II –III, qui regroupe les suivants de 1956 à 1998, suivie d’autres carnets en 2001, pessimisme avoué mais contact avec la nature qui procure confort et confiance..

Philippe Jaccottet a beaucoup voyagé dans sa maturité rappelle André Ughetto. Il a publié en 1993 « Cristal et fumée », notes de voyages évoquant la Grèce, l’Espagne, l’Egypte magnifique mais écrasante ; lui se sent plus proche de la Grèce Il a écrit en prose sur le Liban et sur la Syrie, « où il a vécu des moments très heureux, car à côté de l’horreur, il y a la beauté, on ne doit pas la taire mais faire la louange de la vie, de son sens le plus heureux ». Israël, cahier bleu, est récit où il peut être parfois question de politique car il ne refuse pas l’engagement  : « ce peu de bruit » car il est très transparent à l’actualité mais aussi « Un calme feu », anthologie des poèmes syriens et libanais.

La collection « La Pléïade » va éditer ses œuvres, mais aussi ses écrits de voyages autour de la Méditerranée et en Hollande. De l’avis général des auditeurs présents, ceux-ci seraient heureux que dans l’avenir André Ughetto puisse nous en parler, ce sera aussi passionnant qu’aujourd’hui.

L’écriture poétique de Philippe Jaccottet, (des vers et de la courte prose) est une recherche constante du mot juste (sens de la mesure et du non-dit) : « les champs de blé, ce n’est plus du jaune, pas encore de l’ocre. Ni de l’or. C’est autre chose qu’une couleur » ( La seconde semaison ), « le ton employé, la défiance à l’égard de tout excès, les mots fuient la grandiloquence, le regard, la parole juste plus fugace que la vitesse du vent, voix basse entre indicible et la parole. Ce sont les mots et non la lumière qui surgissent des ténèbres  «  Car au commencement était le Verbe »,  insiste André Ughetto. 

Dans « A la lumière d’hiver » on rencontre le « noyau générateur », et André Ughetto fait la comparaison entre Jaccottet ( le yin), pensée nocturne, et René Char (le yang), l’aspect solaire (cf. Fureur et Mystère). Ph.Jacottet publie en 2011 « L’encre serait de l’ombre » (poèmes et prose (1946-2008). Simone V. évoque les peintures asiatique à l’encre, très inspirées de «aïku », avec dimension métaphysique. Danielle Grégoire nous rappelle la sensibilité à la musique dans « Semaison IV » car Philippe Jaccottet est aussi musicien.


Pour conclure, André Ughetto cite par deux fois Simone Weil  citée par Jaccottet dans « La Semaison » : « toutes les fois que l’on fait vraiment attention, on détruit du mal à soi. »


                                  http://jaccottet.free.fr/bibliojaccottet.htm
      

« LES ONZE » Pierre Michon (Ed. Verdier)
18 Mars 2012 Le réel ou le bluff Monique Bécour
 
    Pierre Michon né à Châtelus-le-Marcheix (Creuse) en 1945.
Elevé par sa mère enseignante, le père parti, dans la maison de ses grands parents, puis pensionnaire à Guéret, il étudie les Lettres à Clermont Ferrand et veut consacrer son mémoire de maîtrise à Antonin Artaud (Le theâtre et son double). Dans les années 1968, il est maoïste. Sans but précis, il rejoint un petit groupe de théâtre et n’exercera jamais aucun métier. Il est boulimique de lectures : Proust, Mallarmé, Faulkner mais surtout Borgès « dont il se sent très proche ». « Ses ruminations sur les vies enfuies et sur les théories écoulées qui sont pour lui comme des vies me fascinent. » dit il dans une interview d’Anne-Sophie Perlat et Franz Johansson.
Il publie « Vies minuscules », à trente huit ans, biographies de certains provinciaux qui auraient pu être de grands personnages. oeuvre qui reçut le prix France Culture en 1984. Il dit encore « qu’on ne choisit pas ce qu’on est, qu’on ne peut pas se faire…Il arrive parfois qu’on ait la chance d’écrire « Vies minuscules », ou bien non…Si je n’avais pas écrit « vies minuscules », je serais certainement dans le métro à faire la manche ».C’est pour cela qu’on peut dire « ou bien ». Jean Pierre Richard parle de « la rhétorique de l’hésitation ». Il écrit sur le registre du visible, les personnages encombrés de symbolique..
  Incertitude de la vie de Pierre Michon qui vit de la charité publique aidé, secouru par sa mère.
 
Pierre Michon publie ensuite « Rimbaud le fils », « demi-fiction sur un écrivain » texte court sur cette destinée vue par les personnages autour de son enfance, dans la province ardennaise ou dans la Creuse pour Michon « avec le thème de la paternité spirituelle et de la paternité biologique qui sont au cœur des deux œuvres ». selon l’ interview,.
Je puis dire, personnellement, que nous retrouvons le même processus chez Victor Segalen, Jean Genêt, tellement d’autres écrivains marqués par Rimbaud.
A trente cinq ans, Michon n’a toujours rien fait, car impossibilité d’écrire.
En 1999, naissance de sa fille et en 2001 sa mère meurt
En 2009, à 63 ans, il publie « Les Onze » qui obtient le « Grand Prix de l’Académie française ».
 
     François-Elie Corentin peintre du XVIIIème siècle doit peindre un tableau « Les onze, » à la manière de Tiepolo, qu’il vénère.
La première partie de l’ouvrage, écrite par Michon en 1993, est la description de la jeunesse de François-Elie Corentin. Ce dernier nait dans la douceur de vivre imaginée du début du 18ème siècle. Il vit dans la légèreté entre sa grand-mère, veuve très riche d’un homme qui s’était enrichi sur l’eau, pour creuser le canal d’Orléans à Montargis, « à l’heure où ses coreligionnaires étaient sur les galères du roi, » qui finit « Ingénieur des turcies et levées de Loire », crées par Colbert. L’homme s’arrête à soixante ans et épouse Juliette « une fillette de vieille noblesse et petite fortune ». Vers 1710, nait Suzanne, la mère de François- Elie sa seule foi et sa seule loi avaient été de placer cette graine avec un intense plaisir dans un ventre blanc à sang bleu »…. » Le vieux n’eut même pas le temps d’en profiter car il mourut presque aussitôt ». La petite Suzanne élevée comme une princesse « de porcelaine » se rendait avec sa mère dans de petits salons littéraires où elle rencontre François Corentin, « jeune poète d’église » , « peintre philosophe, fils d’un maçon Corentin de La Marche venu de La Marche, « sobriquet sans doute attribué par les compagnons » du Devoir, à mon avis. Ce père Corentin excellait dans le mélange de vins violets et d’alcools blancs avec betterave et son fils François, subit la « férule d’un jésuite ou d’un oratorien, et prend à quinze ans le petit collet avec la tonsure symbolique de ces beaux abbés » de l’époque. De la rencontre avec Suzanne naît François- Elie, les hommes de lettres étant de Paris, François, à « peine eut-il joui de la fille » part à Paris. « S’il arrive que les Limousins choisissent les Lettres, les Lettres, elles, ne choisissent pas les Limousins. »
L’enfant, adulé par sa mère et sa grand-mère « qui le dévoraient d’amour », règne sur deux femmes prosternées. « La perte du père ne lui fût pas une souffrance ». La description de cette vie campagnarde du petit malicieux de dix ans est pétillante : il est beau comme le jour et vit dans les jupes énormes, mordorées avec grand panier, que l’on voit dans les tableaux de Watteau, dans une lumière blonde, s’étonnant d’ouvriers limousins refaisant le canal, il répond à sa mère, « belle dame privée d’homme longtemps, » émue de l’émoi qu’elle voit chez les ouvriers : « Ceux là ne font rien, ils travaillent. » Et la belle dame regarde ailleurs parce que la loi est de fer, que le Père universel veille et, parce que Dieu est un chien » leitmotiv qui revient sans cesse : « Diàu ei un tchi ».
Pierre Michon dans la même interview dit « qu’il ne peut pas écrire un seul texte sans me(se) donner la possibilité de placer Dieu. J’ (il) y éprouve une jouissance extrême à employer ces mots, à ce bluff qui n’en est pas un ». Le seul mot du dictionnaire, selon Roland Barthes qui est un gouffre, c’est Dieu ». Michon dit aussi qu’il est interpellé par le pari pascalien.
Bien plus tard, de retour au pays après leur disparition, il dira « elles m’ont tué d’amour mais je le leur ai bien rendu ».
Cette évocation de l’enfant dans les jupes de sa mère m’a fait penser au film de Bergman « Fanny et Alexandre ».
En 2008, quinze ans après, avec beaucoup de difficultés, d’hésitations, Michon reprend l’écriture de son livre. La deuxième partie se déroule sous la Terreur.
Il met en œuvre sa fiction à travers plusieurs procédés littéraires, dans une prose magnifique claire, aérée, empruntant de nombreux mots à l’ancien français, à des métaphores reliant à des passages de l’Histoire Exception faite du premier chapitre car le lecteur est un peu désarçonné par le style de départ et il a tendance à laisser tomber le livre, notamment le portrait de Marat comme le relève Gisèle, ce lecteur, passe comme je l’ai fait, sur deux amorces fines mais non révélatrices à ce moment là. Dès la page 14 : le portrait tardif de Marat attribué à Vivant Denon est un faux ».De même que l’évocation de « deux peintres irrécusables (p.12) Gianbattista Tiepolo et Giandominico Tiepolo son fils ».
 
Procédé principal utilisé : un narrateur s’adresse à un interlocuteur unique « Monsieur » avec lequel « il visite le Musée du Louvre et qu’il attire vers le Pavillon de Flore, tout au bout de la galerie du Bord- de- l’Eau » afin de lui faire découvrir un tableau « Les onze », tout en lui expliquant la vie de François-Elie Corentin, son auteur, « le Tiepolo de la Terreur » et les circonstances qui entourèrent la commande de l’œuvre, dans la nuit de nivôse, dans la sacristie de l’église Saint-Nicolas-des-champs, Proli entouré des dix autres membres du Comité de Salut Public, avec le pain et le vin partagé plagiat du rite eucharistique (coup de patte de Michon fidèle à son pari pascalien).
Les conditions et la finalité de la commande étaient spécifiques : « Personne ne savait encore en nivôse an II, soit autour du 5 Janvier 1794, si Robespierre allait vaincre ou périr. Donc « le joker » de Collot « peindre un tableau où il serait représenté parmi les siens. » L’énigmatique Collot, fait, à mon avis un pari que j’ai qualifié de pascalien, si on accepte l’idée de Robespierre déifié.
« Si Robespierre prenait définitivement le pouvoir on produirait le tableau au grand jour comme preuve éclatante de sa grandeur… Si au contraire, Robespierre chancelait, s’il était à terre, on produirait le tableau comme preuve de son ambition effrénée pour la tyrannie en disant que c’était lui qui l’avait commandé. » !
 
La véracité de cette œuvre est accréditée par une mise en abime avec le fauteuil jaune de Collot décrit dans la séance de la sacristie lors de la commande du tableau « Les Onze », ce fauteuil, étant actuellement au Musée Carnavalet, mais aussi par la citation des douze pages de Michelet sur « Les onze », dans le chapitre III du seizième livre de « L’Histoire de la Révolution française ».
Ces précisions confortent toujours et encore la réalité de ce tableau. « Les Onze » » ne sont pas de la peinture d’Histoire, c’est l’Histoire » (p.132) : comme cela vient de Michelet, c’est l’âme de Michelet qui parle en nous : cela semble donc sortir d’un tableau de Caravage et non de Tiepolo ; de même que les chevaux dans les écuries, près de la sacristie renvoient à la férocité de la Terreur, à la fascination des massacres et des tueries, et évoquent selon Solange et certains de nos lecteurs « Guernica », dans les trois dernières pages épiques, majestueuses du livre.
Le caractère insistant qui se veut probant de cet ouvrage, le collage d’œuvres picturales, depuis Tiepolo peignant à fresco avec un personnage (le petit français) qui figure plus tard dans « Le serment du Jeu de paume » de David, « les Sybilles », le vrai chef d’œuvre de Corentin, le décor que Corentin avait planté pour le spectacle préparé par Collot au théâtre d’Orléans. David qui craignait Corentin parce que c’était un maître, le méprisait parce qu’il était vieux, tiepolien, obsolète mais il l’employait, « l’habit à la nation qu’avait dessiné Corentin en personne sous David , le manteau couleur de fumée d’enfer du tyran, « L’officier de chasseurs » de Géricault, une bataille de Rubens, Füssli qui fit les illustrations de Macbeth, ou « Cauchemar », la jument emblématique, le Tres de Mayo de Goya, la bataille d’Uccello, le Marat assassiné de David, les chasses équestres sculptées des Assyriens de Ninive : bas reliefs au Louvre tant admirés, tout embarque le lecteur dans la crédulité..
Le sujet est emprunté aux barbares de l’époque moderne « passé ou pure fiction, fiction pure puisque passé » (L’Empereur d’Occident).
Nous comprenons alors que Pierre Michon grand admirateur de Borgès qui l’a toujours fasciné en a repris les mêmes procédés.
Anne Frering-Arnaud Vignon)            Présentation du 06/02/2012

Toute une histoire
De Hanan El Cheikh
Paru en 2010

Biographie de l’auteur
HANAN est  née en 1945,dans une famille chiite extrêmement pauvre du SUD-LIBAN.Très jeune , HANAN aime écrire . Elle écrit des articles dans le journal de l’école puis dans d’autres revues. Elle fait une partie de ses études au Caire puis séjourne dans des pays du Golfe.
Dans tous ses romans (traduits en plusieurs langues), les personnages qu’elle crée sont des femmes à forte personnalité , courageuses, combattantes, qui assument leur liberté alors que les usages sont différents.
Enfin, elle décide d’écrire la vie de sa mère et celle -ci est à l’image de ces femmes qu’elle a créées dans ses romans.
Ses ouvrages portent les titres suivants
Femmes de Sable et de myrrhe - paru en Février 1995
Histoire de Zahra - paru en mars 1999
Le Cimetière des rêves -nouvelles parues en Février 2000
Londres mon amour - paru en Mai 2002
Il y a un parallèle dans le chemin de vie des 2 femmes , la mère et la fille.
Elle vit aujourd’hui à Londres
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Les personnages
Le livre comporte de nombreux personnages qu’il est utile de présenter pour la bonne compréhension de l’histoire
Kamleh Personnage central, c’est son histoire. Elle a un frère Kamel de 4 ans son ainé (peu d’impact sur l’histoire).
La mère de Kamleh Elle sera répudiée par son mari tombé amoureux d’une autre femme.Les enfants ont alors 6 et 10 ans .
La mère de Kamleh a déja 4 enfants d’un premier mariage, 2 garçons et 2 filles. Ils vivent à Beyrouth où ils sont mariés.
La fille ainée Manifeh est mariée à Abou Hussein qui aura une place essentielle dans le récit (Beau-frère et 1er mari de Kamleh) .Elle mourra d’une morsure de rat et sera donc remplacée par Kamleh , contre son gré. .
Ibrahim, marié et 2 filles , associé avec Abou Hussein dans les affaires , il sera évincé des affaires par un autre homme et il deviendra finalement conducteur de tram; c’est un garçon sombre, rigoureux et autoritaire avec son demi-frère et sa demi sœur.
Raoufeh mourra très tôt d’une forte fièvre (appendicite) un an après le décès de Manifeh et laissera 5 enfants dont s’occupera la mère.de Kamleh et elle-même.
Hassan (musicien) avec lequel Kamleh s’entend très bien. Il est l’ainé mais est trop doux pour s’imposer.
 Maryam et Inam , 2 des filles de Raoufeh, viendront vivre dans la grande maison et cela changera la vie de Kamleh (P105/106)
Fatmeh la couturière chez qui on envoie Kamleh pour qu’elle apprenne à coudre 
Khadijeh épouse d’Ibrahim et belle soeur de Kamleh participera à son mariage forcé
Mohammed (rencontre avec Kamleh p..73et 74) est un jeune homme de la famille de Fatmeh la couturière . Kamleh va de plus en plus chez Fatmeh chez qui elle se sent très bien , comprise. Un jour où Kamleh chante , Moahmmed l’entend et est séduit .C’est un peu le coup de foudre .Ils ont 13 et 17 ans .Il sera le second mari de Kamleh.
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Prologue
 Dans une voiture fonçant vers New-York Hanan raconte sa propre  histoire , et comment elle a fini par accepter de faire le récit de la vie de sa mère, Kamleh, ce qu’elle avait longtemps refusé pour différentes raisons.L’histoire est racontée à la 1ere personne par Kamleh , et comprend une cinquantaine de chapitres (Les phrases en italiques sont des citations).

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Après un premier chapitre fondateur, intitulé simplement Kamleh, qui nous présente une petite fille d’environ 6 ans déjà courageuse et déterminée courant dans la campagne du Sud Liban, c’est le retour à Beyrouth chez les grands enfants de la mère.
Kamleh va être mise au travail immédiatement , alors que « même les pigeons vont à l’école » (p.55) Elle trime comme un « âne de somme » à s’occuper de ses neveux et nièces et survit grâce au cinéma qu’elle découvre très tôt (avec l’affiche de la Rose Blanche) et grâce à la rencontre qu’elle fait d’un beau jeune homme , Mohammed . Ils ont respectivement 11 et 17 ans. C’est le coup de foudre. Mais elle se fait piéger par une phrase obscure  « Tu seras mon substitut » (p.70) que sa mère et ses sœurs lui font dire devant les hommes de la maison , et sera obligée de ce fait d’épouser son beau-frère Abou Hussein, agé de 18 ans de plus qu’elle.
Le mariage avec Abou-Hussein a lieu quand elle a 14 ans, malgré sa résistance farouche (p.99/100/101) . C’est un véritable viol.
S’ouvre alors une période de 10 années qui vont sans doute être les plus difficiles mais aussi les plus heureuses de sa vie. Elle est d’abord enfermée dans sa maison qu‘elle surnomme «  le terrier de serpents » (p.105) avec un mari qu’elle déteste.  Elle donne naissance à une 1ere petite fille « Fatmeh »  à l’âge de 15 ans. Mais elle s’échappe vite de la maison et cherche à s’amuser de toutes les façons possibles . Elle fréquente assidument le « Cabaret de Mme Nadja » (p118)  et va beaucoup au  cinéma  Elle retrouve Mohammed et l’amour , et ils réussissent à mener une vie de couple dans la chambre de Mohammed. Ce sont 4 années de bonheur marquées en particulier par la naissance de Hanan. N’ayant plus aucun rapport avec son mari Abou Hussein, Kamleh se trouve obligée, pour dissiper le doute, de passer une nuit d’amour avec lui, ce qu’elle vivra comme un viol. Mohammed, poussé par sa famille, voudrait qu’elle divorce, ce qu’elle refuse , à cause de ses enfants, et parcequ’elle a juré fidélité sur le Coran. Elle fait une tentative de suicide.
Mohammed finit par se lasser de la situation , car sa famille l’enjoint de se marier, avec une autre. Il réussit , après de dures négociations, à obtenir le divorce de Abou Hussein.  Kamleh est libre , mais elle aura dû laisser ses enfants à leur père. Ils se marient , elle à environ 25 ans et lui 7 de plus .
Mohammed a une bonne situation dans la police. Kamleh est constamment enceinte , avec la naissance en 8 ans de 3 filles et de 2 garçons. Elle est très heureuse mais elle s’ ennuie un peu, car ses 2 premières filles,lui manquent. Elle regrette quelquefois le temps de leurs jeunes amours , elle et Mohammed. Malheureusement , Mohammed a un accident d’automobile et Kamleh se retrouve veuve à 34 ans.
Elle achète alors une nouvelle maison, place son argent , et reprend goût à la vie en créant « le club des veuves joyeuses « (p.272) .Elle continue à être très courtisée. Elle parvient non sans peine à se libérer de la tutelle de sa belle-famille Elle élève ses 5 enfants , et essaye le plus possible de garder le contact avec ses premières filles Hanan et Fatmeh.  Trois de ses3 filles se marient presque simultanément.
1975 marque le début de la guerre du Liban. Kamleh part pour l’Amérique où se trouvent 2 de ses enfants .Elle se plait , grâce au climat , mais la barrière de la langue fait qu’elle finit pas s’ennuyer. Elle va alors s‘installer au Koweit près de ses filles , mais ne supporte pas non plus cet univers climatisé .Après 16 ans d’absence, « la guerre est finie » (p.290) et elle retourne chez elle . Elle reprend contact avec sa fille Hanan qui entre temps a fait une belle carrière d’écrivain.  Ensemble , elles vont faire un pèlerinage sur les lieux où Kamleh a vécu enfant , et se parlent comme elles ne l’ont jamais fait.
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Epilogue
Kamleh séjourne quelques mois à l’hopital à cause d’un cancer : elle est constamment entourée par ses enfants qui viennent du monde entier. Elle meurt et la voiture qui l’emmene vers sa tombe à coté de Mohammed traverse Beyrouth en passant dans tous les lieux où elle a mené sa vie. C‘est le dernier voyage de la vie. Hanan réfléchit à toute cette histoire , et admire le fait que Kamleh et Mohammed ait pu former un couple aussi uni et heureux alors que Mohammed aimait par-dessus tout la poésie et l’écriture et qu’elle ne savait ni lire ni écrire.